Amanda Lind, Ministre suédoise de la Culture : Rôliste, GNiste…

photo : Astrid Eriksson Tropp / Wikimedia Commons

 » Quatre mois et demi que les Suédois attendaient la formation d’un gouvernement, depuis les législatives du 9 septembre 2018. Quatre mois et demi de tractations et d’incertitude, sous la menace d’élections anticipées. Et au bout du compte (21 janvier) : on prend les mêmes et on recommence. A une exception près, avec la nomination d’une nouvelle ministre de la culture et de la démocratie, Amanda Lind, 38 ans, secrétaire du MP, Parti de l’environnement-Les Verts, depuis 2016 (ici la video de son discours d’investiture lors de la présentation de la nouvelle équipe). Et, surtout, la première ministre suédoise à porter des dreadlocks. »

Cet extrait d’un article du journal Le Monde, le 8 février, annonce la couleur, en nous confirmant que les Cultures de l’Imaginaire restent une minorité culturelle conspuée par l’intelligentsia  :

 » C’est sur son CV, toutefois, que les critiques se sont d’abord concentrées : celui d’une militante, amatrice de jeux de rôle et de Bande Dessinée – pas d’une personnalité culturelle. De quoi hérisser le poil des intellectuels stockholmois. « 

Il est intéressant de voir cette petite percée des créatifs culturels en Suède à travers le prisme français : le groupe Linkedin Professionnels de la Culture compte 3500 membres alors que Professionnels des Cultures de l’Imaginaire en dénombre à peine 130.

Force est de constater qu’en France, encore un grand nombre de minorités culturelles s’échinent à gagner un peu de visibilité dans une masse culturelle portée par le marché, les medias et les apparatchiks du secteur.

Côté politique, l’arrivée de cette personnalité au devant de la scène montre aussi avec éloquence, la différence de culture… politique entre les démocraties latines et les démocraties nordiques.

En Norvège un ministre artisan plombier ne choquerait personne, alors qu’en France on regarde de travers un responsable politique qui n’aurait pas fait l’ENA, tout en critiquant l’accaparement supposé des institutions par les élites. Là où en Suède l’arrivée de cette ministre au CV pour le moins… inattendu, fait momentanément polémique et crée le débat, il faut s’interroger si le système politique français et ses concitoyens permettraient seulement l’arrivée en politique d’une telle personnalité ?

Il faut donc se réjouir de l’accès à un tel poste de responsabilités au sein de ce gouvernement, par une personnalité de la société civile, certes qui n’est pas une débutante en politique, mais qui ne manquera pas d’apporter une touche de progrès et d’innovation au modèle culturel suédois. Son ministère a un spectre large, il inclut le sport, les medias, la lutte contre les discriminations, les minorités comme le peuple Sami, les droits humains et les communautés religieuses.

Pourquoi ? Par la plus value de savoir-etres et de savoir-faires qu’apportent les jeux de simulation et les loisirs en costume à leurs pratiquants.

Cette plus value s’exprime par des compétences qui sont :
– l’usage du « fait soi-même »,
– les vertus éducatives de la ludification,
– les méthodes de co-création et de narration via l’interactivité,
– les apports de techniques de simulation d’époques et d’univers, de l’archéologie expérimentale aux jeux videos,
– la technophilie, par l’usage décomplexé des savoirs et communautés numériques, comme le logiciel libre.

La nouvelle ministre nous prouve qu’elle valorise cette expérience dans son parcours. Interviewée dans un article de la presse locale, de sa commune d’origine, Härnösand, Amanda, qu’il ne faut pas confondre avec Johanna Nilsson, déclare :

 » Dans les années 90, je m’intéressais beaucoup à la culture du jeu de rôle, principalement avec mon frère et ses amis. Au début, c’était surtout le jeu de rôle sur table, puis je suis venu au jeu de rôle Grandeur Nature. Idéalement, j’ai joué des personnages liés à la Nature ou des créatures sylvestres. J’ai toujours eu un sens aigu de la vie au grand air et c’était pour moi une façon de sortir, rencontrer d’autres gens. Dormir sous la tente, avec une inspiration collective médiévale, ce qui donnait une ouverture originale sur le monde, avec des perspectives d’échanges et de rencontres inédites. Mais surtout, c’était amusant et excitant. « 

Est-ce que c’est dans la forêt que vous êtes devenu écologiste ? 

– Non, c’était plutôt à travers la spiritualité. Depuis que mon père est prêtre, j’ai toujours été impliqué dans les activités de l’Eglise et avant le tournant du millénaire, je me suis impliqué dans le mouvement pour l’annulation de la dette des pays pauvres . Mais je n’ai jamais été attiré par les mouvements qui portent une seule vision, je préférais voir les grands processus et leurs liens, c’est politiquement plus excitant.

« C’est plus que j’ai une approche spirituelle de la vie, que j’ai le sentiment que tout est connecté. »

Êtes-vous toujours impliqué dans l’Église? 

– Je me suis toujours intéressé à la théologie et le spirituel m’a suivi tout au long de ma vie. Je vais parfois à l’église, mais je ne m’identifie pas en tant que chrétienne. C’est plus que j’ai une approche spirituelle de la vie, que j’ai le sentiment que tout est connecté dans son ensemble. Et cela va très bien en résonance avec l’idéologie verte.

Dans un autre article et interview, elle précise ce que lui ont apporté les Cultures de l’Imaginaire :

  » – Mentionnez trois expériences culturelles qui ont changé votre vie !

– Jouer de la musique et chanter dans une chorale ont suscité en moi un désir d’accès à la culture. Les jeux de rôle m’ont aussi ouvert très tôt à de nouveaux mondes et m’ont permis de commencer à lire beaucoup de fantasy dès mon plus jeune âge. 

Un intérêt pour la période médiévale est également né, ce qui m’a fait découvrir différents métiers, des choses que je fais encore. Pour moi, c’est une image forte de la créativité, le « faire soi-même » et le « faire ensemble » : les gens se rencontrent dans la culture du jeu ou avec les jeux vidéo, en pratiquant leurs passions ensemble. 

Une autre chose qui m’a fondamentalement influencé est d’avoir pu participer à la vie culturelle de Härnösand : voir émerger une peinture murale, participer aux spectacles de la compagnie de danse Norrdan ou simplement produire un spectacle sur la grand place. 

C’est pourquoi je peux m’engager dans cette mission avec une telle énergie : parce que je sais que des choses peuvent être faites avec des créateurs culturels forts de sens, d’impulsions et actifs auprès de tous. »


Charles XIV Jean de Suède, alias Jean-Baptiste Bernadotte, né à Pau et devenu général de la république française puis roi de Suède.

Dans l’article du 15 janvier, Crise du leadership : « comment la France a oublié le modèle Bernadotte», le journal économique suisse Bilan illustre la différence de posture entre l’empereur Napoléon et Bernadotte, l’un de ses ex-généraux, fondateur de l’Etat suédois dans sa modernité. Mais aussi, comment les divergences de ces deux hommes sont devenu aujourd’hui le ciment d’une certaine forme de non-violence et de neutralité portées par le modèle suédois, dont certaines inspirations majeures sont tout ce qu’il y a de plus français et républicain, et dont devraient s’inspirer de nombreuses démocraties, jusqu’aux institutions européennes elles-mêmes.

C’est ce regard humaniste que porte cette jeune ministre, et elle saura, n’en doutons pas, donner une place de choix aux Cultures de l’Imaginaire aux sein des institutions culturelles de son pays.

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